C’était un matin de janvier, on avait organisé un brunch entre amis à la maison. Les enfants s’amusaient ensemble après avoir terminé leurs assiettes. Puis, ma fille de 3 ans est devenue silencieuse. Elle voulait que je la prenne dans mes bras. Mes yeux se sont posés sur son visage et j’ai immédiatement compris ce qui se passait. Les croissants aux pistaches. La gorge serrée, les lèvres enflées et les yeux grands ouverts de peur, elle est partie avec Nicolas, son père, en direction du CHU Sainte Justine. Nicolas, lui-même allergique aux noix, savait exactement ce qui s’en venait. Et comment la vie de sa fille venait de s’assombrir.
Avoir un adulte allergique aux noix dans la famille, c’est une chose. Mais avoir un petit enfant qui souffre d’une allergie alimentaire grave, qui n’est pas encore conscient de sa condition, c’en est une autre. Alors que nous apprenions à vivre avec toutes les contraintes et l’angoisse que suscitait l’allergie d’Alessia, notre garçon Rafael, âgé de quelques mois, prenait ses premières bouchées. Je le regardais souvent, perplexe, refuser ses plats après une seule bouchée. Lui offrir un aliment qu’il acceptait était devenu un vrai casse-tête. Ce bébé n’aimait pas manger. C’est le jour où il a pris une gorgée de lait d’amandes pour la première fois et qu’il est devenu couvert de plaques d’urticaire en un seul instant que nous avons cliqué et paniqué. « Lui aussi », avons-nous réalisé.
Je me souviendrai toujours du sentiment total de désespoir quand je suis sortie de ce rendez-vous à l’hôpital. J’avais dans la main un morceau de papier sur lequel était inscrite une longue liste d’aliments auxquels Rafael était officiellement allergique. Dans l’autre main, j’avais la liste pour Alessia. Les noix, les œufs, les lentilles, la moutarde, les crustacés et tous les poissons devaient être évités.
Quand j’ai annoncé la nouvelle à Nicolas, il a tout de suite dit: « c’est de ma faute, avec mes propres allergies». Étrangement, moi aussi j’étais habitée d’un énorme sentiment de culpabilité. Qu’est-ce que j’ai fait pour causer ça ? Est-ce que j’ai coupé l’allaitement trop rapidement ? Est-ce qu’on leur a donné des antibiotiques trop jeunes ? Est-ce qu’on a trop tardé avant d’introduire les aliments solides ? J’étais enceinte de notre troisième enfant à cette époque et je craignais bien sûr que ce dernier ait également des allergies alimentaires.
Ce n’est pas longtemps après la naissance de ce troisième bébé, Siena, que j’ai rencontré Sophie Beugnot, par l’entremise de ma cousine, et que j’ai entendu parler de « Bye Bye Allergies ». À cette époque, j’avais besoin de conseils et je voulais parler à un autre parent d’enfant allergique. J’étais submergée par toutes les contraintes et les répercussions des nombreuses allergies alimentaires avec lesquelles notre famille devait jongler quotidiennement. Je me revois, assise à une terrasse d’un café du centre-ville, entendre parler pour la première fois de « guérison des allergies ». Un espoir de guérison ! Vraiment ? Sophie B. me racontait alors les témoignages d’enfants américains « guéris » par des traitements d’immunothérapie orale. Je me souviens qu’elle m’a dit, super enthousiaste, « vas voir sur Youtube des vidéos d’enfants qui mangent leur première tartine de beurre d’arachide ou leur première part de gâteau en pleurant de joie ! » Je n’y croyais pas tellement c’était trop beau pour être vrai. Pas plus que je n’y croyais quand la clinique d’immunothérapie orale (CITO) a finalement ouvert ses portes au CHU Sainte-Justine en 2017. Et pas beaucoup plus quand j’ai su que mes deux enfants allaient commencer leurs traitements de désensibilisation !
Cinq mois après le premier rendez-vous d’Alessia, 8 ans, et de Rafael, 5 ans, avec le Dr Jonathan Lacombe et les infirmières de la clinique CITO, je peux maintenant vous dire que j’y crois. La route a été longue et difficile, et elle l’est toujours parfois, mais on y est presque. Souvent, j’ai envie de me pincer tellement c’est incroyable ! Mes deux enfants mangent, chaque jour, les aliments qui mettaient leurs vies en danger il y a si peu de temps. Après l’école, ils se mettent à table avec une assiette contenant, entre autres choses, toutes les noix qu’ils doivent manger. Parfois, ils ont droit à un petit gâteau préparé par grand-papa et grand-maman qui contient la dose exacte de noix en poudre qu’ils doivent respectivement ingérer quotidiennement. Avec le temps, l’angoisse, la culpabilité et le découragement ont fait place à un sentiment de soulagement et d’immense reconnaissance envers tous ceux qui nous ont aidés dans ce processus et à ceux qui ont travaillé si fort pour l’ouverture de cette clinique.
Aujourd’hui, Alessia et Rafael peuvent manger toutes sortes d’aliments auparavant classés comme « interdits » ! Ils peuvent assister à des fêtes d’enfants, prendre une crème glacée à la crèmerie, voyager sans complication et manger au restaurant sans crainte, une magnifique victoire pour eux. Rafael a commencé la maternelle sans le stress qui nous avait accompagné lorsque notre aînée a intégré l’école. Leurs vies, et la vie de toute notre famille, ont pris une nouvelle tournure. Heureusement, dans le cadre de ce dénouement rêvé, Siena n’a jamais développé d’allergie. Et encore mieux, Sacha, le petit dernier, âgé de 6 mois, explore, découvre et goûte, lui aussi, à tous les aliments sans danger et avec appétit !
Un texte de Sophie Papillon